Il est des livres qui
vous font aimer la littérature à jamais, qui suscitent chez vous
des sensations indicibles. L'effet provoqué par un livre aimé,
voire adoré, ne peut être défini à mes yeux. Cela fait
certainement partie de la magie de la littérature. Dans mon panthéon des œuvres chéries, se rangent, entre autres, La Condition humaine
de Malraux, L'Insoutenable Légèreté de l'être de Kundera,
Le Père Goriot de Balzac,
Fureur et mystère de
René Char, etc., etc., etc. Et puis, il y a La
Promesse de l'aube de Romain
Gary. Pourquoi ce « et puis » ? Après avoir lu plusieurs de ses ouvrages,
Romain Gary est devenu mon auteur de prédilection (oui, rien que
ça...). Bien entendu, tous ses romans ne m'ont pas bouleversée (et d'ailleurs, je n'ai pas encore tout lu, tant la bibliographie de Romain Gary est riche).
Mais après avoir ri, puis pleuré en lisant ses ouvrages, j'ai dû
me résoudre : cet auteur m'avait touchée, plus qu'aucun autre
(jusqu'à présent). Parmi ses romans savoureux, je
peux dès lors citer Éducation Européenne,
Le Grand Vestiaire,
Adieu Gary Cooper, ou encore
Chien Blanc.
Certains
diront : « Romain Gary, euh, inconnu aux bataillons ! »,
ou encore « Romain Gary, un auteur de second, voire de troisième
ordre ! ». Romain Gary a écrit des ouvrages remarquables, mais
aussi des médiocres (n'est-ce pas le cas de tous les auteurs ?). Il n'en reste pas moins déprécié par de nombreux universitaires.
Ils lui reprochent, notamment, ses différences de registres le
rendant très vite « inclassable », sa singularité à
son époque (Romain Gary écrivait des romans « traditionnels » face au Nouveau Roman ou à la littérature engagée de Sartre ou de Camus), et puis, évidemment,
ce coup de maître : les deux Goncourt. Un acte impardonnable aux
yeux de l'élite littéraire. Car Romain Gary a joué
avec le monde littéraire de son époque. Il a revêtu plusieurs
identités : il est aussi Roman Kacew, Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat,
et bien sûr Émile Ajar. Il a alors obtenu son premier Goncourt avec
Les Racines du ciel en
1956 sous le nom de Romain Gary, puis un second Goncourt avec La
Vie devant soi en 1975 sous le
nom d'Émile Ajar, sans qu'aucun critique et lecteur (ou presque) ne
s'aperçoivent véritablement de la supercherie. Un coup de maître qui
n'a jamais été égalé, mais qui lui a valu de nombreux reproches,
qui perdurent encore aujourd'hui.
Néanmoins, ces dernières années,
cet auteur a commencé à être réhabilité. Plusieurs ouvrages lui
ont été consacrés, plusieurs colloques organisés, et quelques
thèses ont été soutenues. En 2010, pour les trente ans de sa mort
(triste anniversaire pour réhabiliter la figure d'un auteur), le
monde littéraire s'est réveillé : émissions de radio (notamment
sur France Culture), beaux livres en pagaille, exposition au Musée
des lettres et manuscrits, etc. Je n'ai aucunement
la prétention de participer à cette réhabilitation universitaire.
De grands intellectuels le font et le feront bien mieux
que moi. Il s'agit davantage de partager, ici, une passion
littéraire, pour un auteur « peu » connu. Pourtant, Yvon Girard dans le numéro spécial du Débat,
« Le livre, le numérique » (Gallimard, mai-août
2012, n°170) précise que Gary est dans le palmarès des ouvrages Folio les
mieux vendus (comme quoi, cet auteur n'est pas véritablement oublié...).
Découvert
en classe de première dans le cadre d'un cours sur
« l'autobiographie » (d'ailleurs, il est assez improbable
de choisir cet auteur pour étudier l'autobiographie strico
sensu : La Promesse de
l'aube est un roman certes
inspiré de la vie de Romain Gary, mais il est énormément romancé.
Bref.). Lu d'une traite, le roman m'a émue aux larmes. Alors, je l'ai
précieusement conservé sur mon étagère, mais également dans un
coin de ma mémoire. Et puis, l'hypokhâgne est arrivée avec ses
gros sabots. Mon professeur (ou mon tyran) de français nous a alors « gentiment » imposé le choix d'un auteur de prédilection
afin d'affiner nos goûts littéraires, et d'affûter (surtout et
avant tout) notre sens critique. Romain Gary est alors réapparu dans
ma vie. Il m'a sauvé la mise en hypokhâgne (je pèse mes mots). La
lecture de ses romans faisait partie de ces moments rares de plaisir,
d'oubli de soi, d'oubli de tout. Une pause littéraire savourée.
Au-delà de l'auteur, j'ai aussi appris à connaître l'homme. Sa vie
est un roman à elle seule (peut-être était-il prédestiné,
s'appelant, à l'origine, « Roman » et non Romain). Il
est, certes, auteur, mais il a aussi été aviateur dans les Forces
aériennes françaises libres (ce qui lui a valu la croix de la
Libération), diplomate et plus particulièrement ambassadeur de
France. Romain Gary : plusieurs identités, plusieurs vies. Et
puis, me voilà en master. Qui dit master, dit mémoire. Mon choix a
vite été fait.
Je n'irai pas à écrire « Romain, mon amour »
comme Leïla Chellabi (la dernière « femme » de Romain Gary - ses
conquêtes féminines sont innombrables) l'a fait pour l'un de ses ouvrages, mais je pourrai facilement
écrire « Romain, mon amour littéraire » (voilà, c'est
dit). Je
laisserai la parole (si je puis dire) à Romain Gary, en citant
quelques-unes de ces pépites littéraires en commençant par la plus
connue, mais qui restera, à mes yeux, une merveille :
« Avec
l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle
ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et
vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On
revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien
abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables
se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous
parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la
source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend,
vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il
n'y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de
l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de
la documentation.» La Promesse de l'aube, Gallimard, 1960, p.
38.
« Y a t-il
derrière l'apparence des choses, derrière le masque douloureux de
la réalité, une féerie secrète, une gaieté essentielle, une
fête qui ne cesse jamais et que nous font tout à coup pressentir
quelques pas de danse, quelques notes de musique, un rire de fille
enchantée ? Je ne sais. Je ne crois guère aux profondeurs secrètes,
lorsqu'il s'agit du bonheur. » Les Enchanteurs,
Gallimard, 1973, p302.
« Il
me semble que jamais je ne cesserai de courir. Je ne courais pas vers
le bout du monde : on y était. Je ne savais pas où j'allais et,
d'ailleurs, il n'y avait pas où aller. Je hurlais. » Les
Cerfs-Volants,
Gallimard, 1980, p. 356.
« Cette maison où j'écris est près de la mer et
j'écoute son murmure, car il vient du fond des âges. Il y aura
peut-être des mondes nouveaux, des voix que personne n'a encore
entendues, un bonheur qui n'aura pas seulement un goût de lèvres,
une joie encore jamais imaginée, une vie qui ne sera pas seulement
au clair de femme. Mais moi je vis votre plus vieil écho... » : ce passage est un extrait de feuilles éparses de Romain Gary, jamais publiées, in Myriam Anissimov, Romain
Gary, le caméléon, Editions
Denoël, 2004, p508-509.
![](https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh9lXHV8EzlxidjAYCFk3LfkPy6KazWqtXApS5rkALSGiN4jNlO4Dsi6W6Juw0sXjgMsXjavhW0y4A9zdOu-eaw9P4AHb54OkdpWuipsY2WDieFj1k5PDiaBEMg1DsTVQ9uuyRWrpsKE8mN/s400/Feuillet+manuscrit+du+roman+in%C3%A9dit+Le+Charlatan+(1970).jpg) |
Feuillet manuscrit du roman inédit du Charlatan, 1970, in "Romain Gary, des Racines du ciel à La Vie devant soi", La lettre du musée des lettres et manuscrits, janvier-février-mars 2011, n°38. |
Cet article a été écrit avec un fond musical, celui de l'album Coexist
(2012) de The XX. Ce n'est pas une découverte, mais
plutôt une re-découverte. Cette musique s'associe parfaitement à
cette saison automnale. Aussi douce qu'intense, elle fait poindre
quelques élans nostalgiques. Nostalgie d'un été ensoleillé et
chaud, laissant aujourd'hui place à un automne pluvieux, doux et
parfois froid. Bref, si vous avez l'occasion, allez écouter cet album
envoûtant de The XX.
D.